L'étymologie d'un mot révèle
parfois des détours inattendus sur le long chemin de ses usages à
travers le temps.
"Blog", cet anglicisme, ce
quasi-inconnu au début du XXIe siècle, désigne aujourd'hui un
phénomène de société à l'écho planétaire : la publication sur le
réseau des réseaux de "carnets extimes", l'inverse des carnets
intimes.
Pour se convaincre de l'ampleur de
cet univers couramment appelé "blogosphère", il suffit d'une requête
sur Google, le numéro un de la recherche sur Internet. Aux quatre
lettres de "BLOG", le moteur de Mountain View renvoie un résultat
vertigineux : 1,2 milliard d'occurrences.
"Blog" a un de ces longs destins
cahoteux, dont la tangente numérique date d'une dizaine d'années. A
sa genèse, il ne s'agissait que d'une simple pièce de bois ("log" en
anglais). Les premiers marins jetaient un rondin par-dessus bord, à
la poupe de leur bateau. En comptant le temps écoulé pour qu'il
s'éloigne, ils estimaient ainsi la vitesse du navire.
Plus tard, les navigateurs
affinèrent le système en reliant à une corde des pièces de bois à
espaces réguliers. Les "logs" jetés à la mer permettaient de mesurer
plus précisément l'allure du bateau. Les données collectées étaient
soigneusement consignées sur un carnet de bord, un journal de logs.
Le terme "log" s'écarte ainsi de
son sens originel et commence sa seconde vie : il désigne dès lors
les carnets de bord des capitaines aux longs cours.
Au début du XXe siècle, les hommes
partent à la conquête du ciel, et "log" gagne les airs sous la forme
des journaux de bord des pilotes de l'aviation.
Au milieu des années 1990, les
nouveaux espaces à conquérir sont sur le réseau des réseaux : le
Web. Les pionniers de la Toile (pour la plupart américains) y
ouvrent des journaux personnels, à destination de la naissante
communauté des internautes, des "web-logs". De la contraction de ces
deux termes naît le mot-valise "blog".
Blog serait donc né
outre-Atlantique. Une tache dans la langue française que la
commission générale de terminologie et de néologie s'est efforcée,
en vain, d'effacer.
Le 9 juin 2005, le ministère de
l'éducation nationale publiait, sur son bulletin officiel, sa
décision de remplacer "blog" par "bloc-notes", voire "bloc" pour sa
forme abrégée.
Une décision tardive : les blogs
francophones se comptaient déjà par millions, notamment grâce au
succès qu'ils remportent encore auprès des adolescents. Les
Québécois ont, pour leur part, préféré franciser l'existant : blog
est devenu "blogue".
Reste que les déclinaisons de ce
qui n'était qu'une bûche au début de l'histoire sont nombreuses. "Bloguer"
est devenu un verbe et "blogueur" un nom commun. "Blouquin" désigne
un livre décliné sur un blog ou inversement le contenu d'un blog
déjà publié dans un livre. Un "mlog" est un blog adapté à des
supports mobiles (téléphone mobile, PDA...), un "vlog" diffuse de la
vidéo, un "flog" publie essentiellement des photographies.
Plus fantaisiste, Alain, blogueur
amoureux des lettres, a sur ses pages "un garde-mots comme d'autres
ont un garde-manger" : http://blog.legardemots.fr. Il y collecte et
invente des néologismes et se voit "blogonaute, voyageur intrépide
plongé dans la bloguespace". La "bloguitude" n'est plus très loin.
Eric Nunès
Article paru dans l'édition du
04.04.07