De tous les Occidentaux, les
Français ont la réputation d'être les plus hostiles à la
mondialisation. Ils ignorent manifestement qu'ils en sont les
organisateurs les plus prestigieux ! Pascal Lamy dirige l'Organisation
mondiale du commerce et Dominique Strauss-Kahn a de très bonnes
chances de prendre la direction générale du Fonds monétaire
international à l'automne. Or l'OMC et le FMI - l'une pour le commerce
et l'autre pour l'économie et la monnaie - sont sans conteste les deux
institutions phares de la globalisation. Celles qui façonnent les
règles du jeu et en arbitrent les crises.
Il n'y a pas que l'OMC et le FMI où
nos compatriotes monopolisent les plus hauts postes. Dans l'olympe des
organisations intergouvernementales, ils sont partout. Michel Jarraud,
à l'Organisation mondiale de la météorologie, Claude Mandil à l'Agence
internationale de l'énergie, le Dr Bernard Vallat à l'office
international des épizooties, Michel Danet à l'Organisation mondiale
des douanes, Jean-Marie Guéhenno numéro deux de l'ONU en charge des
questions de sécurité, Francesco Frangialli à l'Organisation mondiale
du tourisme, etc. Au niveau européen également les Français sont aux
avant-postes : Jean-Claude Trichet à la BCE, Jean Lemierre à la Banque
européenne pour la reconstruction et le développement (Berd),
Jean-Paul Costa à la présidence de la Cour européenne des droits de
l'homme, Marc Perrin de Brichambaut comme secrétaire général de l'OSCE
(Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe).
Cette omniprésence à la tête de tous
les « machins », comme disait le général de Gaulle à propos de l'ONU,
constitue une tradition bien ancrée. Interrogé le 14 juillet 1990,
quelques jours après la réunification de l'Allemagne, sur la prétendue
perte d'influence de la France, François Mitterrand avait eu cette
réponse impériale : « Sur les six principaux centres internationaux
qui dominent la politique mondiale, cinq sont dirigés par des Français
» (FMI, OCDE, Commission européenne, Conseil de l'Europe, Berd).
Nicolas Sarkozy pourrait dire pratiquement la même chose aujourd'hui.
Une bonne douzaine de nos compatriotes sont à la tête des 160 à 170
organisations intergouvernementales, y compris européennes,
répertoriées par le Quai d'Orsay. « Marianne guidant le monde » : ces
listes d'excellence font chaud au coeur.
Dans le village mondial, chaque
nation tend à se créer sa spécialisation. La Chine en est son usine,
l'Inde, le bureau informatique, les États-Unis en sont le centre de
recherche, la Cité de Londres en est le financier, l'Allemagne, son
bazar (l'endroit où s'assemblent des pièces fabriquées ailleurs pour
être réexportées, d'où la place de numéro un mondial des exportations
allemandes). Dans cette division du travail, le Français serait-il le
« grand commis » du village, voire son fonctionnaire de base ? Selon
le Quai d'Orsay, qui comptabilise minutieusement les emplois des
organisations internationales, quelque 15 000 postes sont tenus par
des Français, sur un total d'environ 130 000.
Cette surreprésentation dans la
fonction publique internationale, sans commune mesure avec notre
population et notre importance économique, que nous rapporte-t-elle
vraiment ? Le FMI, qui a eu à sa tête pendant trente-deux ans des
directeurs généraux français (Pierre-Paul Schweitzer, Jacques de
Larosière, Michel Camdessus) depuis sa création, en 1944, reste une
institution de culture totalement anglo-américaine. Ses économistes
sont tous passés par les universités d'outre-Atlantique, y compris les
Indiens et les Pakistanais, très nombreux, et pas un des trente
directeurs qui font actuellement marcher la boutique au jour le jour
n'est Français. La Banque centrale européenne a quant à elle acquis
une tradition britannique : sa langue de travail, ses assistantes de
direction, les filières de formation exigées du personnel, sont celles
du Royaume-Uni, même si Albion ne fait pas partie de la zone euro.
Dans la compétition planétaire, la
France a certes un réel talent pour obtenir les postes de numéro un.
Mais elle tend à négliger les rôles moins en vue dans la hiérarchie et
finalement plus déterminants dans la vie de l'institution. Par
ailleurs, le président ou le directeur général ne saurait en aucun cas
être soupçonné de favoriser son pays d'origine. Ainsi Pascal Lamy,
tant à la Commission européenne qu'à la tête de l'OMC, s'est-il
totalement démarqué de « l'exception culturelle » si chère à la
France. De même Dominique Strauss-Kahn, s'il devait accéder à la
direction du FMI, ne serait certainement pas le mieux placé pour
défendre les intérêts français dans la réforme de fond qui est en
cours au FMI. Que ce soit l'importance des quotas du capital, des
droits de vote ou la détention d'un siège d'administrateur pour la
France, les 185 pays membres attendent de lui une parfaite neutralité.
Que nos hauts fonctionnaires, et
maintenant nos ministres, accèdent au titre de « maître du monde »,
cela flatte leur ego bien plus que tout autre chose. La République,
bonne fille avec ses élites, est toujours prête à « échanger un plat
de lentilles contre un droit d'aînesse ». Ainsi, à deux reprises,
pour la création de la Berd, en 1990, et de la BCE, en 1998, a-t-on
abandonné le siège de la banque, respectivement à Londres et à
Francfort, pour en obtenir la présidence. Or, si les hommes valent
bien mieux que la pierre, ils durent hélas moins longtemps.