Jésus et les liens de parenté
ROME, vendredi 29 juin 2007 (ZENIT.org)
– Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 1
juillet, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur
de la Maison pontificale.
Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 9, 51-62
Comme le temps approchait où Jésus allait être enlevé de ce monde, il
prit avec courage la route de Jérusalem.
Il envoya des messagers devant lui ; ceux-ci se mirent en route et
entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue. Mais on
refusa de le recevoir, parce qu'il se dirigeait vers Jérusalem. Devant
ce refus, les disciples Jacques et Jean intervinrent : « Seigneur,
veux-tu que nous ordonnions que le feu tombe du ciel pour les détruire ?
» Mais Jésus se retourna et les interpella vivement. Et ils partirent
pour un autre village.
En cours de route, un homme dit à Jésus : « Je te suivrai partout où tu
iras. » Jésus lui déclara : « Les renards ont des terriers, les oiseaux
du ciel ont des nids ; mais le Fils de l'homme n'a pas d'endroit où
reposer la tête. »
Il dit à un autre : « Suis-moi. » L'homme répondit : « Permets-moi
d'aller d'abord enterrer mon père. » Mais Jésus répliqua : « Laisse les
morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le règne de Dieu. »
Un autre encore lui dit : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi
d'abord faire mes adieux aux gens de ma maison. » Jésus lui répondit : «
Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n'est pas fait
pour le royaume de Dieu. »
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Laisse les morts enterrer leurs morts
En avril dernier est sorti le livre de Benoît XVI « Jésus de Nazareth ».
Je voudrais commenter certains des prochains Evangiles du dimanche en me
basant sur les réflexions du pape. Tout d’abord, quelques mots sur le
contenu et l’objectif du livre. Il est centré sur Jésus dans la période
qui va de son baptême dans le Jourdain jusqu’au moment de la
transfiguration, c’est-à-dire du début de son ministère public, environ
jusqu’à la fin de son ministère. Un deuxième tome, si Dieu, confie le
pape, lui donne les forces et le temps nécessaire pour l’écrire, sera
centré sur le récit de la mort et de la résurrection, ainsi que les
récits de l’enfance, qui n’ont pas été traités dans ce premier tome.
Le livre tient compte de l’exégèse historico-critique et se sert de ses
résultats mais va au-delà de cette méthode, en cherchant une
interprétation véritablement théologique, c’est-à-dire globale, et non
sectorielle, qui prend au sérieux le témoignage des Evangiles et des
Ecritures, comme des livres inspirés par Dieu.
Le but du livre est de montrer que la figure de Jésus que l’on obtient
ainsi « est beaucoup plus logique et, du point de vue historique,
également plus compréhensible que les reconstructions auxquelles nous
avons été confrontés au cours des dernières décennies. J’estime, ajoute
le pape, que ce Jésus précisément, celui des Evangiles, est une figure
historiquement sensée et convaincante ».
Il est très significatif que le choix du pape de s’en tenir au Jésus des
Evangiles trouve une confirmation dans les orientations les plus
récentes, et qui font autorité, de la critique historique même, comme
dans l’œuvre monumentale de l’écossais James Dunn (Christianity in the
Making), selon lequel « les Evangiles synoptiques attestent un modèle et
une technique de transmission orale qui ont garanti une stabilité et une
continuité dans la tradition de Jésus, meilleures que celles que l’on a
généralement imaginées jusqu’ici ».
Mais revenons au passage de l’Evangile de ce XIIIe dimanche du temps
ordinaire. Il fait état de trois rencontres de Jésus au cours du même
voyage. Concentrons-nous sur l’une de ces rencontres. « Il dit à un
autre : ‘Suis-moi.’ L'homme répondit : ‘Permets-moi d'aller d'abord
enterrer mon père.’ Mais Jésus répliqua : ‘Laisse les morts enterrer
leurs morts. Toi, va annoncer le règne de Dieu’ ».
Dans son livre, le pape commente le thème des relations de parenté,
sous-entendu ici, en dialogue avec le rabbin juif américain Jacob
Neusner. Neusner a écrit un livre (A Rabbi Talks with Jesus) dans lequel
il imagine être l’un des auditeurs présents lorsque Jésus parlait aux
foules et explique pourquoi, malgré sa grande admiration pour le rabbin
de Nazareth, il n’aurait pas pu devenir son disciple. L’une de ses
raisons est précisément la position de Jésus vis-à-vis des liens
familiaux. A plusieurs reprises, affirme le rabbin, il semble inviter à
enfreindre le quatrième commandement qui demande d’honorer son père et
sa mère. Il demande, comme nous l’avons entendu, de renoncer à aller
enterrer son propre père. A un autre endroit, il affirme que celui qui
aime son père et sa mère plus que lui n’est pas digne de lui.
On répond généralement à ces objections en rappelant d’autres paroles de
Jésus qui affirment avec force la validité permanente des liens
familiaux : l’indissolubilité du mariage, le devoir d’assister son père
et sa mère. Dans son livre, le pape donne cependant une réponse plus
profonde et plus éclairante à cette objection, qui n’est pas seulement
celle du rabbin Neusner mais de tant de chrétiens qui lisent l’Evangile.
Il part d’une parole de Jésus qui répondit un jour à des personnes qui
lui annonçaient la venue de sa famille : « Qui est ma mère et qui sont
mes frères ?... quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux,
celui-là m’est un frère et une sœur et une mère » (Mt 12, 49-50).
Jésus n’abolit pas ainsi la famille naturelle, mais révèle une nouvelle
famille dans laquelle le père est Dieu et les hommes et les femmes sont
tous frères et sœurs, grâce à la foi commune en lui, le Christ. Avait-il
le droit de le faire ? s’interroge le rabbin Neusner. Cette famille
spirituelle existait déjà : c’était le peuple d’Israël uni par
l’observance de la Torah, c’est-à-dire de la Loi mosaïque. Il n’était
permis à un fils de quitter la maison paternelle que pour étudier la
Torah. Mais Jésus ne dit pas : « Celui qui aime son père ou sa mère plus
que la Torah, n’est pas digne de la Torah ». Il dit : « Qui aime son
père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ». Il se met à la
place de la Torah et seul quelqu’un qui est supérieur à la Torah et à
Moïse qui l’a promulguée, peut faire cela.
Selon Benoît XVI, le rabbin juif a raison de conclure : « Seul Dieu peut
exiger de moi ce que Jésus exige ». La discussion sur Jésus et les liens
de parenté (comme la discussion sur Jésus et l’observance du Sabbat)
nous ramène, fait remarquer le pape, au cœur de la question sur qui est
Jésus. Si un chrétien ne croit pas que Jésus agit avec l’autorité même
de Dieu et qu’il est lui-même Dieu, il y a davantage de cohérence dans
la position du rabbin juif qui refuse de le suivre que dans la sienne.
On ne peut accepter l’enseignement de Jésus si l’on n’accepte pas
également sa personne.
Relevons quelques enseignements pratiques de cette discussion. La «
famille de Dieu », qui est l’Eglise, non seulement n’est pas contre la
famille naturelle, mais elle en est la garantie et la promotrice. Nous
le voyons aujourd’hui. Il est dommage que certaines divergences
d’opinions au sein de la société actuelle sur des questions liées au
mariage et à la famille empêchent tant de personnes de reconnaître
l’œuvre providentielle de l’Eglise en faveur de la famille et qu’on la
laisse souvent seule dans cette bataille décisive pour l’avenir de
l’humanité.