PLUS de trois millions de Français
sont submergés chaque année par les ravages de la dépression, un mal
qui ne cesse de progresser avec la précarité, la solitude, l'avancée
en âge. C'est le trouble mental le plus répandu dans les sociétés
occidentales, ont pointé les psychiatres lors de la quatrième
journée européenne organisée la semaine dernière à Paris à
l'initiative de France-Dépression (1). Une association composée de
patients, de famille et de médecins.
D'après le ministère de la Santé, près d'une personne sur cinq aura
à subir au cours de son existence les affres de cette indicible
souffrance morale qui vous laisse K.-O. debout, avec une intense
dévalorisation de soi, une perte de toutes ses capacités habituelles
et une seule envie, celle d'en finir.
Les Français ont une perception du phénomène qui majore les
chiffres officiels, puisque 35 % d'entre-eux, interrogés par le
Credoc, estiment avoir déjà souffert d'une dépression.
Elle frappe en fait près de 8 % de la population de 15 à 75 ans
en France, avec deux classes d'âge plus à risques : les 18 - 25 ans
dans les deux sexes, les hommes de 35 à 44 ans, les femmes de 45 à
54 ans.
Plusieurs enquêtes mettent en évidence une prévalence plus
importante chez les personnes au chômage ou chez celles qui vivent
dans des conditions précaires. Analysant les rapports entre notre
culture contemporaine axée sur la performance, l'individualisme et
la dépression, le Pr Didier Sicard, président du Comité
d'éthique, estime que la société actuelle fait le lit de la maladie.
« On ne prend pas assez en cause les conditions de
contrainte que vivent les salariés face à des situations de
harcèlement moral, de menace de licenciement ou d'exclusion si
fréquentes », dénonce-t-il.
« Des réponses graduées »
En outre, cette longue descente aux enfers suscite encore beaucoup
trop d'incompréhension, voire de stigmatisation et de rejet. Elle
reste de surcroît encore trop mal diagnostiquée et trop peu prise en
charge. « Seule la moitié des malades ont accès au système de
soins et parmi ceux-ci, 50 % seulement recevraient un traitement
adéquat », affirme le Pr Emmanuelle Corruble, chef du
service de psychiatrie au CHU de Bicêtre. Pour plusieurs raisons. À
commencer par le fait que la grande majorité des patients vont
consulter leur généraliste. Or celui-ci n'a souvent ni le temps ni
la formation suffisante pour les traiter correctement. Mais cette
spécialiste se garde bien de mettre en cause les médecins de ville.
Bien au contraire : « Il faut bien souvent de trois-quarts
d'heure à une heure pour bien poser le diagnostic, une durée bien
trop longue pour le généraliste qui ne peut y consacrer autant de
temps. »
Autre problème mis en avant par le Pr Corruble, « le
fait que les antidépresseurs soient prescrits à dose insuffisante et
pour une période trop courte ». Mais on ne saurait pour autant
oublier la prise en charge psychologique. « Psychothérapie seule
pour les troubles dépressifs légers, résume-t-elle. Mais en
revanche, c'est une faute de ne proposer qu'une psychothérapie
isolée en cas d'épisode modéré à sévère. » Il faut
obligatoirement y adjoindre une prescription adaptée
d'antidépresseurs. « Des travaux récents ont montré qu'ils
interviennent sur la neuroplasticité cérébrale », précise le Pr
Jean-Pierre Olié, chef de service au centre hospitalier Sainte-Anne
à Paris. « Lors d'une dépression, la fabrication de nouveaux
neurones est ralentie essentiellement au niveau du cortex préfrontal
et du cerveau émotionnel, ajoute-t-il. Mais sous
antidépresseurs tout comme d'ailleurs sous psychothérapie, de
nouveaux neurones réapparaissent. »
La psychothérapie reste complémentaire des traitements
médicamenteux. « À condition d'avoir au préalable évalué les
degrés de souffrance du patient afin de lui proposer des réponses
adaptées et graduées, estime le Pr Frédéric Rouillon,
chef de service de psychiatrie à l'hôpital Sainte-Anne à Paris.
Mais cette thérapie doit être réalisée par des professionnels dûment
formés et non pas par des psychothérapeutes autoproclamés. » Il
plaide aussi pour que « le patient soit réellement informé par
son thérapeute des résultats escomptés et des délais nécessaires
pour les obtenir ».
Désireux d'éviter des surprises désagréables à la personne en quête
de « soutien par la parole », il insiste aussi pour que « le prix
de la consultation et le mode de règlement soient bien précisés.
Rien ne devrait d'ailleurs s'opposer au règlement par chèque ».
Enfin, il souhaite que les jeunes psychiatres mais également les
jeunes psychologues « puissent bénéficier d'un véritable cursus
de formation, axé sur les multiples pratiques et que celles-ci
soient correctement évaluées ».
(1) Renseignements :
01 40 61 05 66 et
www.france-depression.org