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Extraits :
contre la
tradition rationaliste, Lévinas place l’éthique à la place de
philosophie première. Ce qui est premier ce n’est pas l’être (ni le
discours sur l’être), mais c’est la relation à l’autre.
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relations
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Source: http://philo.pourtous.free.fr/Articles/Julien/lhumanite_du_visage.htm
Date :
2.05.08
L’humanité du visage,
un aperçu sur la pensée d’Emmanuel Lévinas
Notre siècle a vu le visage de
l’homme disparaître derrière la multiplicité des déterminations
(biologiques, sociales et linguistiques) que les sciences ont mis en
lumière: c’est la mort de l’homme annoncée par Foucault. L’ambition
constitutive de la rationalité occidentale de faire de l’humain (comme
de toutes choses) un objet de science, de l’intégrer à la totalité de
l’être et du savoir, a eu précisément pour effet… de le désintégrer.
Doit-on en conclure, comme on l’a précédemment fait au sujet de Dieu,
que l’humain est une illusion? L’œuvre d’Emmanuel Lévinas représente
une des tentatives les plus rigoureuses de notre siècle pour répondre
à cette question. Nous nous proposons ici de donner un modeste aperçu
sur cette œuvre exigeante, sur ce nouvel humanisme, “humanisme de
l’autre homme”.
Il ne s’agit pas pour Lévinas de revenir à l’humanisme des
Lumières, de définir l’homme par rapport aux pouvoirs de sa raison,
mais au contraire de donner sens à l’humain à partir de sa faiblesse,
de la nudité de son visage, «nudité qui crie son étrangeté au monde,sa
solitude, la mort, dissimulée dans son être,» écrit Lévinas dans la
préface à Totalité et Infini. On peut considérer la phénoménologie que
Lévinas opère du visage de l’autre homme comme le cœur de son œuvre.
Faire de la phénoménologie c’est essayer de décrire ce qui apparaît
(le phénomène) sans rien présupposer de l’objet que l’on décrit, c’est
partir de l’existence, pas d’une essence, d’une nature ou de
caractéristiques générales. Comment apparaît l’humain? Par son visage
et par sa parole.
Si l’humain a un sens, il le trouve dans l’appel que me lance le
visage de l’Autre. Si le visage a un rapport à la vision, il est
pourtant ce qui toujours déborde la représentation, la “chosification”
comme dit Sartre, qu’opère le regard. «C’est lorsque vous voyez un
nez, des yeux un front, un menton, et que vous pouvez les décrire, que
vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleur façon de
rencontrer autrui, c’est de ne pas même remarquer la couleur de ses
yeux!» écrit Lévinas1.
Et on sait bien aujourd’hui en quoi identifier un homme à la forme
de son nez par exemple, faisant de celle-ci le signe de son
appartenance à une “race”, est déjà négation de son humanité. Ce qui
est spécifiquement visage échappe aux catégories générales par
lesquelles on peut identifier l’appartenance de quelqu’un ou bien
prétendre le comprendre -dans le sens où “comprendre” veut dire
englober: l’humain échappera toujours à la connaissance conceptuelle,
car le concept ramène toujours au même (à un genre commun, à une
totalité), alors que l’humain, c’est toujours l’autre homme.
L’existence de l’autre homme ne m’est pas donnée comme l’est celle de
cet arbre par exemple: celui-ci m’apparaît par ses qualités et réside
peut-être entièrement en elles, or autrui n’est pas entièrement donné
dans ce qui l’exprime (parole et visage), et c’est bien pour cela
qu’il est, à chaque instant, possible pour lui d’être sincère ou me
trahir. «Le visage est cette réalité par excellence, où un être ne se
présente pas par ses qualités.»2
Ce qui veut aussi dire que le visage se présente dans sa nudité, la
preuve en est que nous ne cessons d’user d’artifices pour “faire bonne
figure” comme on dit.
Les choses et les mots ont une signification par référence à
d’autres choses et d’autres mots, dont on dit précisément qu’ils sont
les signes. Mais le visage de l’autre homme ne tient pas sa
signification en référence à autre chose. «Le visage est
signification, et signification sans contexte. Je veux dire qu’autrui
dans la rectitude de son visage, n’est pas un personnage dans un
contexte… le visage est sens à lui seul. Toi c’est toi.»3
Le visage est même la signification première, car le face à face
est la situation originelle à partir de laquelle il y a du sens: si
les choses ont une signification qui ne se limite pas à leur usage par
moi, c’est parce qu’un autre peut-être associé à ma relation à elles,
c’est parce que je peux partager. Ce que révèle Lévinas c’est que le
langage qui met les hommes en relation est d’essence éthique.
Le visage et la parole de l’autre, sa présence irréductible à une
idée, me mettent en demeure de répondre, de sorte que même ne pas lui
répondre est encore une réponse. Pas de moralisme ici, être
responsable, c’est être vraiment en relation à l’autre. Le visage de
l’autre éveille le moi à son unicité d’être irremplaçable: ce n’est
pas par son effort pour persévérer dans son être que l’homme s’affirme
comme tel, au contraire, ce faisant il reste toujours dans la logique
de l’espèce, où il est lui-même substituable à n’importe quel autre.
Le “je” n’existe vraiment qu’en répondant au “tu” qui le questionne.
Mais en même temps qu’il me fait accéder à la subjectivité, le visage
de l’Autre me met en question dans mon être même: en disant “je”, j’ai
aussi à répondre de mon droit d’être. Tous les vivants s’obstinent à
être sans que cela ne leur pose le moindre problème, alors que pour un
homme, la présence d’un autre homme met implicitement son être en
question: et si «ma place au soleil», comme l’écrit Pascal, était «le
commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre»?
«Les soupçons engendrés par la psychanalyse, la sociologie et la
politique, écrit Lévinas4,
pèsent sur l’identité humaine de sorte que l’on ne sait jamais à qui
on affaire quand on bâtit ses idées à partir du fait humain. Mais on
n’a pas besoin de ce savoir dans la relation où l’autre est le
prochain et où avant d’être individuation du genre homme, ou animal
raisonnable, ou volonté libre, ou essence quelle qu’elle soit, il est
le persécuté dont je suis responsable… » La philosophie d’Emmanuel
Lévinas nous montre en quoi la question de l’être de l’homme est avant
tout une question éthique. Se questionner sur l’humain ne saurait se
limiter à l’accumulation de données objectives sur le fait humain. Le
discours rationnel se veut totalisant, n’occupant aucun point de vue
(qui est toujours partiel). Mais, le savoir qui constitue l’humain
comme objet est toujours un discours adressé à d’autres hommes, à des
hommes dont la présence, dont le visage ne se résorbe pas dans le dit
savoir. On est toujours déjà dans le face à face, dans cette relation
dont les termes échappent - sinon d’où viendrait la nécessité de se
parler? Ainsi, contre la tradition rationaliste, Lévinas place
l’éthique à la place de philosophie première. Ce qui est premier ce
n’est pas l’être (ni le discours sur l’être), mais c’est la relation à
l’autre.
Julien Saiman
(écrire à cet auteur)
Commentaire

Quelques réflexions d'Emmanuel Levinas sur le visage
http://www.ndweb.org/ecrit/levinas/visages.htm
Le visage se refuse à la possession,
à mes pouvoirs. Dans son épiphanie, dans l'expression, le sensible,
encore saisissable se mue en résistance totale à la prise. Cette
mutation ne se peut que par l'ouverture d'une dimension nouvelle. En
effet, la résistance à la prise ne se produit pas comme une résistance
insurmontable comme dureté du rocher contre lequel l'effort de la main
se brise, comme l'éloignement d'une étoile dans l'immensité de
l'espace. L'expression que le visage introduit dans le monde ne défie
pas la faiblesse de mes pouvoirs, mais mon pouvoir de pouvoir. Le
visage, encore choses parmi les choses, perce la forme qui cependant
le délimite. Ce qui veut dire concrètement : le visage me parle et par
là m'invite à une relation sans commune mesure avec un pouvoir qui
s'exerce, fût-il jouissance ou connaissance.
Emmanuel Levinas, Totalité et
infini, Martinius Nijhoff, 1961, p.172
Le visage est signification, et
signification sans contexte. Je veux dire qu'autrui dans la rectitude
de son visage, n'est pas un personnage dans un contexte. D'ordinaire,
on est un "personnage" : on est professeur à la Sorbonne,
vice-président du Conseil d'Etat, fils d'un tel, tout ce qui est dans
le passeport, la manière de se vêtir, de se présenter. Et toute
signification, au sens habituel du terme, est relative à un tel
contexte : le sens de quelque chose tient dans sa relation à autre
chose. Ici, au contraire, le visage est sens à lui seul. Toi, c'est
toi. En ce sens, on peut dire que le visage n'est pas "vu". Il est ce
qui ne peut devenir un contenu, que votre pensée embrasserait ; il est
l'incontenable, il vous mène au-delà.
Emmanuel Levinas, Ethique et infini,
Fayard, 1982, p.91
La peau du visage est celle qui
reste la plus nue, la plus dénuée. La plus nue, bien que d'une nudité
décente. La plus dénuée aussi : il y a dans le visage une pauvreté
essentielle ; la preuve est qu'on essaie de masquer cette pauvreté en
se donnant des poses, une contenance.
Emmanuel Levinas, Ethique et infini,
Fayard, 1982, p.90
page ouverte en 06/07
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