| |
...
Auteur:
A Robert, de la part d'Edouard XX, avec ses meilleurs voeux pour l'an de
grâce 2013.
Source: Courriel
au nom du Forum de la France Chrétienne, 8, rue d'Artois,
Versailles
Date de
l'original: mercredi
26 décembre 2012
Date de création de
cette page :
dimanche 14.2.2016
______________________________________________________Copie
du COURRIEL
__________________________________________________________
Un cardinal cite Jean-Paul
Sartre pour Noël :
ICI - Présentation et analyse dans "Trente Jours" : ICI
Extrait de « Bariona ou le fils du
tonnerre » :
ICI (texte complet en anglais
ICI)
|
Oyez consolez
mon peuple,
soyez
consolez, dit vostre Dieu.
Parlez au
coeur de Jérusalem & l'appelez
car sa malice
est accomplie ;
elle a reçu de
la main du Seigneur
le double pour
tous ses péchez.
La voix de
celui qui crie au désert :
préparez la
voie au Seigneur,
faites qu'en
solitude
les sentiers
de nostre Dieu soient droits.
Toute vallée
sera eslevée,
& les chemins
tortus seront redressez,
& raboteux,
rudes seront en voies applanis,
& la gloire du
Seigneur sera révélée,
& toute chair
verra ensemble
que la bouche
du Seigneur a parlé.
Ésaie 40: 1-5 ; st Luc 3: 4-6 ; st Matthieu 3: 3
|

La Vierge sous les pins, Lucas Cranach,
Breslau, en 1510
|
|

|
Un cardinal cite Jean-Paul Sartre
pour Noël ....
LE POINT
......>>>>>>>>
Un prélat italien connu pour
sa grande curiosité n'hésite pas à puiser dans l'œuvre de l'écrivain athée
pour parler de la tendresse.
Source AFP
Publié le 24/12/2012 à 17:45 -
Modifié le 24/12/2012 à 18:33 | Le Point.fr
Le cardinal Gianfranco Ravasi,
"ministre" de la Culture du Vatican, a cité, à l'occasion de Noël, un
écrit de Jean-Paul Sartre sur la naissance de Jésus et plusieurs images
féminines de Dieu dans la Bible, dans une tribune de presse originale
consacrée à la "tendresse de Dieu".
Dans ce texte publié ce week-end dans le quotidien italien Il Sole 24
Ore et repris lundi dans plusieurs médias du Vatican, le prélat italien,
connu pour son intérêt culturel à 360 degrés et son foisonnement d'idées,
rapporte cette fois un écrit du prisonnier de guerre Jean-Paul Sartre au
stalag XX-D où il était interné en Allemagne, et qui a été publié dans
Baronia ou le fils du tonnerre (1940).
Éloge de la tendresse
Le cardinal Ravasi cite ces phrases de Sartre, qui décrit l'étonnement
de la Vierge Marie devant l'enfant à qui elle vient de donner le jour :
"Elle pense : ce Dieu est mon fils, cette chair divine est ma chair (...)
Il me ressemble et Dieu me ressemble. Un Dieu tout petit qu'on peut
prendre dans les bras et couvrir de baisers." Selon le prélat, ce texte de
celui qui allait devenir l'écrivain existentialiste - et athée - le plus
célèbre met en lumière une "valeur en déclin dans nos jours un peu
vulgaires : la tendresse, et ses déclinaisons diverses, comme la douceur,
la délicatesse, l'affection, la modération".
Mgr Ravasi relève aussi l'importance dans la Bible de la symbolique
nuptiale et reproductrice pour décrire l'action de Dieu. Rappelant que le
pape Jean Paul Ier avait déconcerté le monde catholique quand il avait
évoqué durant son unique mois de pontificat en 1978 le caractère
"maternel" de Dieu, le "ministre de la Culture" du pape cite plusieurs
passages des livres d'Isaïe. Il mentionne notamment l'un d'eux, qui donne
de Yahvé, à côté d'un dieu guerrier tout-puissant, l'image d'un Dieu qui
"crie c
*
* *
*
Sartre et la
nativité de Jésus
Revue 30 jours
>>>>>>>
par Massimo Borghesi
Noël 1940: l’écrivain, prisonnier dans un camp allemand, compose Bariona
ou le Fils du tonnerre, une pièce de théâtre destinée à être jouée dans un
baraquement. Nous nous trouvons devant un Sartre inconnu qui semble un
instant s’émouvoir de l’affection émerveillée de Marie, du regard de Joseph
et de l’espoir des Mages et des bergers devant l’enfant Dieu. «Ils ont joint
les mains et ils pensent: quelque chose a commencé. Et ils se trompent…»
1. L’athéisme de Sartre: une philosophie sans
paternité?
«Où est le vrai Sartre?», se demandait Charles Mœller dans un splendide
essai consacré à cet auteur1. «Est-ce l’expérience existentielle de la
nausée devant la surabondance aveugle, obscène de la nature? Ou bien cette
nausée n’est-elle qu’une conséquence? Y a-t-il, à l’origine, une option,
un choix en faveur d’un certain type d’expérience humaine au détriment des
autres? En d’autres mots est-ce la nausée qui est le fait premier ou
est-ce l’option d’un penseur profane qui l’oblige à ne voir de la vie
qu’une partie, toujours la même?»2. Pour répondre à cette question Mœller
essaie de déchiffrer le “paradoxe” de l’homme Sartre, de retrouver le
niveau d’expérience qui se trouve derrière sa pensée. Ce niveau est saisi
à partir d’une lacune, celle de la paternité, qui a une incidence sur
toute la vision du monde du philosophe. N’a-t-il pas écrit, en se
rappelant son enfance: «En ces temps-là, nous étions tous plus ou moins
orphelins de père: ces Messieurs étaient morts ou au front, ceux qui
restaient, diminués, dévirilisés, cherchaient à se faire oublier de leurs
fils; c’était le règne des mères»3. Pour Mœller, «il semble bien qu’une
expérience essentielle ait manqué à Sartre, celle de la paternité, [que
lui ait manqué] le lien intime qui joint le sens de Dieu et le sens de la
paternité»4. Resté orphelin, il assiste, dans son enfance, à l’entrée dans
sa maison d’un beau-père, nouveau mari de sa mère. C’est une situation
analogue à celle de Baudelaire, auteur étudié par Sartre, chez lequel il
pouvait retrouver une situation semblable à la sienne. «Il a peut-être
vécu le même drame, mais l’a résolu autrement, par l’orgueilleuse négation
de la paternité, par l’affirmation violente d’une autonomie absolue, dont
il fera bientôt le pivot de sa philosophie»5. Une hypothèse difficile à
vérifier, selon le critique, mais à laquelle il est impossible de se
soustraire. «Je n’échappe cependant pas à l’impression que le sentiment
“d’être de trop”, qui semble si profond dans l’œuvre (songeons à la scène
de la racine dans La Nausée), trouve l’une de ses origines dans le fait
que Sartre fut orphelin de père et qu’il vécut comme un “bâtard” en face
de son beau-père»6. Le refus de la condition de fils devint refus du
monde, perçu comme étranger. En qualité d’“étranger” (A. Camus), l’homme
se trouve dans une existence absurde, il est «de trop», créature non
voulue par personne, passant désolé et anonyme dans une métropole plongée
dans le brouillard. Jean-Paul Sartre, selon Mœller, «a eu peur de s’avouer
“enfant, fils”»7. Comme l’homme moderne qui «veut être “sans père et sans
mère”»8, sa philosophie abolit toute idée de dépendance. La liberté, comme
autonomie absolue, créatrice, est la négation de l’altérité, de la nature,
de Dieu. La liberté est la négation de toute racine, lien, rapport. Sartre
a le goût du “néant”: le “pour soi”, la conscience, c’est le vide qui
dissout la “causalité” brute du monde. Au milieu, entre le “néant” du moi
et la réalité réifiée, il n’y a plus de personnes, de visages,
d’affections. La philosophie de la liberté comme négativité exclut,
jusqu’à L’Être et le néant, toute expérience de positivité. Monde en proie
à la mauvaise foi, l’univers sartrien semble ambigu, sordide, inquiétant.
La lumière de la grâce ne déchire pas la nuit. Comme l’a observé Gabriel
Marcel, la pensée de Sartre est le système le plus logique de refus de
toute grâce qui ait jamais été présenté. Pour Dieu, l’étranger par
excellence, l’ennemi de la liberté et de l’autonomie, il n’y a pas de
place. L’existentialisme sartrien est rigoureusement athée.
Tout cela est vrai. Mœller a fort bien saisi ce qui conduit Sartre à la
négation de toute altérité, à la double exclusion de Dieu et du monde. De
même qu’il a saisi que son athéisme doit nécessairement se radicaliser en
anti-théisme, en option contre Dieu. Il reste malgré tout dans son analyse
un certain nombre de questions ouvertes qui demandent une réflexion
appropriée. Parmi celles-ci, il y a en premier lieu l’idée que l’anti-christianisme
de Sartre est lié à sa situation d’orphelin, au ressentiment œdipien à
l’égard de son beau-père. Le problème est en réalité plus complexe. Mœller
n’avait pas les moyens de le résoudre parce que son essai, qui date de
1957, n’a pas pu profiter de la précieuse confession autobiographique
offerte par Les Mots, éditée par Gallimard en 1964. Le refus sartrien de
Dieu, son orgueilleuse autonomie, restaient pour lui un «nœud secret»
difficile à débrouiller, vu que «Sartre, à la différence de Gide, ne se
met jamais en scène dans son œuvre»9. Or dans Les Mots, le philosophe
peint un tableau de son enfance, de ses désirs, de sa position religieuse.
Cette dernière, loin d’être déterminée par l’absence du père, est plutôt
dominée par la figure du grand-père, Charles Schweitzer, protestant et
violemment anti-catholique. «Dans le privé, par fidélité à nos provinces
perdues, à la grosse gaîté des antipapistes, ses frères, il ne manquait
pas une occasion de tourner le catholicisme en ridicule: ses propos de
table ressemblaient à ceux de Luther: sur Lourdes, il ne tarissait pas:
Bernadette avait vu “une bonne femme qui changeait de chemise” […]. Il
racontait la vie de saint Labre couvert de poux, celle de sainte Marie
Alacoque qui ramassait les déjections des malades avec la langue. Ces
bourdes m’ont rendu service; […] je risquais d’être une proie pour la
sainteté. Mon grand-père m’en a dégoûté pour toujours: je la vis par ses
yeux, cette folie cruelle m’écœura par la fadeur de ses extases, me
terrifia par son mépris sadique du corps»10.
Sartre, partagé entre son grand-père protestant et sa mère catholique,
enfermée avec “son Dieu à elle”, vit dans une situation de profonde
tension. «Dans le fond, tout cela m’assommait: je fus conduit à
l’incroyance non par le conflit des dogmes mais par l’indifférence de mes
grands-parents. Pourtant, je croyais: en chemise, à genoux sur le lit,
mains jointes, je faisais tous les jours ma prière mais je pensais au bon
Dieu de moins en moins souvent»11. En évoquant cette période, avoue
Sartre, «je viens de raconter l’histoire d’une vocation manquée: j’avais
besoin de Dieu, on me le donna, je le reçus sans comprendre que je le
cherchais. Faute de prendre racine en mon cœur, il a végété en moi quelque
temps, puis il est mort. Aujourd’hui quand on me parle de Lui, je dis […]:
“Il y a cinquante ans, sans ce malentendu, sans cette méprise, sans
l’accident qui nous sépara, il aurait pu y avoir quelque chose entre
nous»12.
La place laissée vide par Dieu est alors occupée par la littérature,
par l’art d’écrire. «Ce pasteur manqué», écrit encore Sartre à propos de
son grand-père, «fidèle aux volontés de son père, avait gardé le Divin
pour le verser dans la Culture. […] Je déterrai cette religion féroce et
je la fis mienne pour dorer ma terne vocation […]. Je devins cathare, je
confondis la littérature avec la prière, j’en fis un sacrifice humain»13.
Sartre se sent prédestiné, élu, “annaliste des enfers”. «De là cet
aveuglement lucide», poursuit l’auteur, «dont j’ai souffert trente années.
Un matin, en 1917, à La Rochelle, j’attendais des camarades qui devaient
m’accompagner au lycée; ils tardaient, bientôt je ne sus plus qu’inventer
pour me distraire et je décidai de penser au Tout-Puissant. À l’instant il
dégringola dans l’azur et disparut sans donner d’explication: il n’existe
pas, me dis-je, avec un étonnement de politesse et je crus l’affaire
réglée. D’une certaine manière elle l’était puisque jamais, depuis, je
n’ai eu la moindre tentation de le ressusciter. Mais l’Autre restait,
l’Invisible, le Saint-Esprit, celui qui garantissait mon mandat et
régentait ma vie par de grandes forces anonymes et sacrées. De celui-là
j’eus d’autant plus de peine à me délivrer qu’il s’était installé à
l’arrière de ma tête […]. Écrire, ce fut longtemps demander à la Mort, à
la Religion sous un masque d’arracher ma vie au hasard»14. Cette foi,
Sartre, au moment où il écrit Les Mots l’a perdue. «L’illusion
rétrospective», avoue-t-il, «est en miettes; martyre, salut, immortalité,
tout se délabre, l’édifice tombe en ruine, j’ai pincé le Saint-Esprit dans
les caves et je l’en ai expulsé; l’athéisme est une entreprise cruelle et
de longue haleine»15. Conscient que «la culture ne sauve rien ni personne,
ne justifie pas»16, car «on se défait d’une névrose, on ne guérit pas de
soi»17, Sartre ne peut pourtant pas ne pas reconnaître que «usés, effacés,
humiliés, rencoignés, passés sous silence, tous les traits de l’enfant
sont restés chez le quinquagénaire»18. Ils continuent à vivre dans la
mémoire les personnages littéraires aimés dans l’adolescence.
«Grisélidis», dit Sartre, «pas morte. Pardaillan m’habite encore. Et
Strogoff. Je ne relève que d’eux qui ne relèvent que de Dieu et je ne
crois pas en Dieu. Allez vous y reconnaître. Pour ma part, je ne m’y
reconnais pas et je me demande parfois si je ne joue pas à qui perd gagne
et ne m’applique pas à piétiner mes espoirs d’autrefois pour que tout me
soit rendu au centuple. En ce cas je serais Philoctète: magnifique et
puant, cet infirme a donné jusqu’à son arc sans condition: mais
souterrainement, on peut être sûr qu’il attend sa récompense»19.
2. La Nativité de Jésus comme «premier matin du monde»
Sartre n’est pas devenu athée parce que, orphelin, il a refusé la
personne de son beau-père. Les positions anti-catholiques de Charles
Schweitzer ont contribué de façon nettement plus décisive à faire perdre à
son petit fils la foi de sa jeunesse. Preuve en est une œuvre écrite en
1940 qui dément la thèse de Mœller selon laquelle Sartre «a eu peur de
s’avouer “enfant, fils”». Il s’agit de la pièce de théâtre Bariona ou le
Fils du tonnerre20, que Sartre a composée à l’époque où il était dans un
camp de prisonnier, en Allemagne. Mœller fait rapidement allusion à cette
période: «Dans un camp de prisonnier il a composé “un noël” à jouer dans
un baraquement»21. Et il ne pouvait pas en être autrement car la première
publication de l’œuvre, en cinq cents exemplaires hors commerce, date de
1962. On voit apparaître dans cette œuvre un Sartre inconnu, éloigné des
points de vue nihilistes de La Nausée, ouvert à l’espoir qu’éveille le
novum de la naissance. Un Sartre qui reconnaît la positivité de l’être et
qui décrit avec une rare délicatesse, l’affection émerveillée de Marie
ainsi que le sentiment de pudeur protectrice de Joseph à l’égard de
“l’enfant Dieu”.
En juin 1940, Sartre, à la suite de la défaite de l’armée française,
est fait prisonnier par les Allemands. Il est envoyé en août, en
Allemagne, dans le camp de prisonniers de Trèves, où il restera jusqu’en
avril 1941. Malgré les privations et les vexations, ce ne fut pas pour
Sartre une période négative. L’expérience de la solidarité entre les
prisonniers le sauvera de la solitude, du ressentiment de Roquentin, du
mépris du monde. C’est le signe avant-coureur de son orientation vers le
marxisme, dans lequel il lui semblera trouver par la suite la possibilité
d’un “groupe en fusion”, d’une vie authentique, solidaire dans la lutte.
«J’ai trouvé au Stalag une forme de vie collective que je n’avais plus
connue depuis l’École normale, et je veux dire qu’en somme j’y étais
heureux»22, écrit-il. Il fait connaissance dans ce camp de quelques
prêtres, et entre autres de l’abbé Marius Perrin, avec lequel il se lie
d’amitié. «Somme toute», écrit Annie Cohen-Solal, «avec les prêtres, il se
sent en fraternité. Malgré d’interminables discussions sur la foi»23. Dans
le camp, note Merleau-Ponty, «cet antéchrist avait noué des relations
cordiales avec un grand nombre de prêtres et de jésuites»24. C’est dans ce
contexte que naît l’idée d’une pièce de théâtre que Sartre écrit à
l’occasion de la fête de Noël 1940. Les répétitions se déroulent dans le
hangar que le père Boisselot a obtenu du commandant du camp pour dire la
messe, pour y donner des concerts ou des spectacles de théâtre. Dans ses
grandes lignes, cette pièce met en scène l’histoire d’un chef de village
juif, Bariona, qui, accepte l’augmentation des impôts ordonnée par le
procureur romain, mais demande aux habitants du lieu de ne plus faire
d’enfants. Rome ne pourra plus exercer son pouvoir que sur le désert. Au
moment de cette requête suicidaire Bariona ne sait pas encore que sa femme
Sarah attend un enfant. La découverte, dramatique, de cette grossesse ne
le fait pas revenir sur sa décision, à laquelle par ailleurs sa femme
s’oppose. C’est dans ce cadre que Bariona est informé par les bergers de
la naissance du Messie dans une étable de Bethléem; une nouvelle qui lui
donne l’impression d’une grande illusion, d’une tromperie. Le chef juif
médite dans son cœur de tuer l’enfant, de supprimer ce vain espoir. Arrivé
à Bethléem, il y trouve Sarah et, auprès de l’étable, une foule
agenouillée, émue et heureuse. Surpris, il renonce à son projet et
lorsqu’il apprend qu’Hérode veut tuer Jésus, il regroupe ses hommes,
rassemble des armes et, conscient d’aller vers la mort, il s’avance au
devant des gardes du roi. Sartre était sur le moment très satisfait de sa
pièce. Il écrit dans une lettre à Simone de Beauvoir: «J’ai fait un
Mystère de Noël très émouvant, semble-t-il»25, au point que, ajoute-t-il,
l’un des acteurs pleurait presque en jouant. Trente ans plus tard, au
contraire, il en donnera une interprétation négative en soulignant le but
politique de la pièce: «J’ai fait Bariona qui était bien mauvais mais où
il y avait une idée théâtrale […]. Les Allemands n’avaient pas compris
l’allusion à l’engagement, ils y voyaient là une pièce de Noël
simplement»26. Et encore: «Si j’ai pris le sujet dans la mythologie du
christianisme, cela ne signifie pas que la direction de ma pensée ait
changé, fût-ce un moment, pendant la captivité. Il s’agissait simplement,
d’accord avec les prêtres prisonniers, de trouver un sujet qui pût
réaliser, ce soir de Noël, l’union la plus large des chrétiens et des
incroyants»27.
Tout cela comporte sa part de vérité. On ne s’explique pas sinon le
final, clairement politique, en un sens anti-allemand, de l’œuvre. Mais il
est cependant vrai que, comme l’observe Cohen-Solal, il s’agit pour Sartre
d’une «expérience plus importante, peut-être, qu’il n’y paraît»28. Ce
n’est pas un hasard si Sartre, à la même période, se passionne pour
Claudel et pour Bernanos: «Les deux grandes découvertes que j’y [dans le
camp ] ai faites furent Le Soulier de satin et le Journal d’un curé de
campagne. Ce sont les seuls livres qui m’aient vraiment donné un choc»29.
Bariona en réalité est bien plus qu’un pamphlet politique, de lutte, même
si cet aspect est clairement présent. Dans cette œuvre, Sartre s’est
approché d’une perception du mystère de la naissance et de la maternité
ainsi que du mystère du christianisme comme il ne l’avait jamais fait ni
ne le fera plus dans son œuvre. En ce sens, comme l’écrit Antonio Delogu
dans l’introduction à l’édition italienne de Bariona, cette pièce
constitue «une véritable exception»30 dans l’ensemble de la pensée
sartrienne. Il est sûr que ce qui se fait jour avant tout dans Bariona,
c’est la vision du monde qui s’exprimera dans La Nausée et dans les récits
de Le Mur; une vision qui sera encore au centre de L’Être et le néant. Ce
que dit Bariona à Sarah pour essayer de la convaincre de supprimer
l’enfant qu’elle porte exprime le nihilisme existentiel du premier Sartre:
«Femme, cet enfant que tu veux faire naître c’est comme une nouvelle
édition du monde. Par lui les nuages et l’eau et le soleil et les maisons
et la peine des hommes existeront une fois de plus. Tu vas recréer le
monde, il va se former comme une croûte épaisse et noire autour d’une
petite conscience scandalisée qui demeurera là, prisonnière, au milieu de
la croûte, comme une larme. Comprends-tu quelle énorme incongruité, quelle
monstrueuse faute de tact ce serait de tirer le monde raté à de nouveaux
exemplaires? Faire un enfant, c’est approuver la création du fond du cœur,
c’est dire au Dieu qui nous tourmente: “Seigneur, tout est bien et je vous
rends grâce d’avoir fait l’univers”. […] L’existence est une lèpre
affreuse qui nous ronge tous et nos parents ont été coupables»31.
Ne pas engendrer, c’est expier la faute des parents, la faute de Dieu.
C’est refuser une création impure, mal réussie. Bariona exprime tout le
ressentiment de la rébellion gnostique, “cathare”, d’un nihilisme qui n’a
que haine pour l’être. La négation du fils est la négation d’un nouveau
début. Ce qui existe mérite de périr: la mort est le jugement du monde.
Face à la question de Sarah: «Et si pourtant c’était la volonté de Dieu
que nous engendrions?»32, Bariona demande un signe, la manifestation de
Dieu, mais en réalité il ne veut pas croire: «L’Éternel m’aurait-il montré
sa face entre les nuages», dit-il, «que je refuserais encore de l’entendre
car je suis libre; et contre un homme libre, Dieu lui-même ne peut rien.
Il peut me réduire en poudre ou m’enflammer comme un brandon […] mais il
ne peut rien contre ce pilier d’airain, contre cette colonne inflexible:
la liberté de l’homme»33.
Bariona est Sartre, le Sartre prométhéen de la liberté absolue, de
la négation de l’altérité comme forme suprême d’autonomie. Le
Sartre qui s’interdit toute possibilité d’espoir car l’espoir est
considéré comme une fuite, comme une désertion de l’inexorable dureté de
l’existence. Bariona ne peut espérer, attendre le Messie. «Ce monde
est une chute interminable, vous le savez bien. Le Messie, ce serait
quelqu’un qui arrêterait cette chute, qui renverserait soudain le cours
des choses […] et nous naîtrions vieillards pour rajeunir ensuite jusqu’à
la petite enfance»34. Ce n’est pas possible. Et «la dignité de l’homme est
dans son désespoir»35. Jusqu’ici donc, rien de nouveau. C’est le Sartre le
plus connu, le Sartre “existentialiste”. Mais apparaît dans l’œuvre la
figure du roi mage Balthazar, dont le rôle était joué par Sartre qui
s’était improvisé acteur pour l’occasion. Balthazar représente le moment
nouveau qui intervient dans la vision sartrienne, le moment de l’espoir:
«Il est vrai», dit-il à Bariona, «que nous sommes très vieux et très
savants et nous connaissons tout le mal de la terre. Pourtant quand nous
avons vu cette étoile au ciel, nos cœurs ont battu de joie comme ceux des
enfants et nous avons été pareils à des enfants et nous nous sommes mis en
route, car nous voulions accomplir notre devoir d’homme qui est d’espérer.
Celui qui perd l’espoir, Bariona, celui-là sera chassé de son village […].
Mais à celui qui espère, tout est sourires, et le monde est donné comme un
cadeau»36.
L’espoir de Balthazar est l’espoir de Sarah. Elle aussi veut aller à
Bethléem car, dit-elle, «là-bas il y a une femme heureuse et comblée, une
mère qui a enfanté pour toutes les mères et c’est comme une permission
qu’elle m’a donnée: la permission de mettre mon enfant au monde. Je veux
la voir, la voir, cette mère heureuse et sacrée»37.
La proposition de sa femme ne fait pas céder Bariona. Un sorcier lui
ayant appris le destin de mort du Messie crucifié, il mûrit en lui le
projet de tuer l’enfant pour le bien de son peuple, pour «conserver en
[celui-ci] la flamme pure de la révolte»38. Arrivé à Bethléem, devant
l’étable, Bariona surprend Marie de dos, il ne voit pas Jésus dans les
bras de sa mère, il voit seulement Joseph. «Mais je vois l’homme»,
pense-t-il. «C’est vrai. Comme il le regarde! Avec quels yeux! Que peut-il
y avoir derrière ces deux yeux clairs, clairs comme deux absences dans ce
visage doux et raviné? Quel espoir? […] Pour trouver le courage d’éteindre
cette jeune vie entre mes doigts, il n’aurait pas fallu l’apercevoir
d’abord au fond des yeux de son père. Allons, je suis vaincu»39. Le regard
que Joseph pose sur Jésus arrête la main homicide de Bariona, lequel ne
peut s’empêcher d’envier le bonheur émerveillé de la foule accourue pour
adorer l’enfant. Un bonheur illusoire, selon lui, mais cependant évident:
«Ils ont joint les mains», remarque-t-il, «et ils pensent: quelque chose a
commencé. Et ils se trompent, c’est entendu, et ils sont tombés dans un
piège et ils paieront ça cher plus tard; mais tout de même, ils auront eu
cette minute-ci; ils ont de la chance de pouvoir croire à un commencement.
Qu’y a-t-il de plus émouvant pour un cœur d’homme que le commencement d’un
monde et la jeunesse aux traits ambigus et le commencement d’un amour,
quand tout est encore possible, quand le soleil est présent dans l’air et
sur les visages […]. Et moi, je demeure dans la grande nuit terrestre,
dans la nuit tropicale de la haine et du malheur. Mais – ô puissance
trompeuse de la foi – pour mes hommes, des milliers d’années après la
création, se lève dans cette étable, à la clarté d’une chandelle, le
premier matin du monde»40.
Bariona ne participe pas à cet espoir. «Voici: ils chantent», dit-il,
«et je me tiens au seuil de leur joie […]. Ils m’ont abandonné et ma femme
est parmi eux et ils se réjouissent, ayant oublié jusqu’à mon existence.
Je suis sur la route du côté du monde qui finit, et eux sont du côté du
monde qui commence. Je me sens plus seul au bord de leur joie et de leur
prière que dans mon village désert»41. C’est seulement maintenant
qu’incapable de participer à la joie commune, Bariona est vraiment seul.
Une solitude surmontée, mais en apparence seulement, dans le septième
tableau, le dernier de l’œuvre, dans lequel Bariona finalement se ravise
et rassemble ses hommes pour sauver Jésus des mercenaires d’Hérode. C’est
la partie la plus “politique” et, peut-être, la moins réussie, qui
justifie le jugement que donne à chaud, le lendemain de la représentation,
l’abbé Perrin: «Rien dans ce Bariona du mystère de Noël classique: on n’y
voit ni la Vierge, ni l’Enfant, sinon en filigrane… Les hommes de Bariona
s’en vont, peut-être à la mort, mais alors ils mourront pour que l’espoir
des hommes libres ne soit pas assassiné»42.
Le jugement est pertinent mais cependant incomplet. En réalité, Sartre
n’a jamais été aussi près de saisir le mystère chrétien, ce nouveau début
qui rend possible l’espoir. Début lié à la naissance d’un enfant. Comme le
déclare Bariona, «un homme-Dieu, un Dieu fait de notre chair humiliée, un
Dieu qui accepterait de connaître ce goût de sel qu’il y a au fond de nos
bouches quand le monde entier nous abandonne, un Dieu qui accepterait par
avance de souffrir ce que je souffre aujourd’hui… Allons, c’est une
folie»43. Cette folie se transforme en «émerveillement anxieux» dans le
regard tendre et inquiet de Marie. «Elle le regarde», dit un personnage,
«et elle pense: “Ce Dieu est mon enfant. Cette chair divine est ma chair.
Il est fait de moi, il a mes yeux et cette forme de sa bouche c’est la
forme de la mienne. Il me ressemble. Il est Dieu et il me ressemble”. Et
aucune femme n’a eu de la sorte son Dieu pour elle seule. Un Dieu tout
petit qu’on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers, un Dieu tout
chaud qui sourit et qui respire, un Dieu qu’on peut toucher et qui vit»44.
Sartre n’écrira plus de la
sorte ni au sujet de Dieu ni au sujet de l’homme. L’œuvre de Noël 1940
restera, de ce point de vue, une «exception» , comme si l’atmosphère
particulière du camp avait permis à l’auteur d’approcher de plus près le
mystère de l’existence. Mais une exception qui suffit à produire l’une des
plus belles représentations de Noël dans la littérature du XXe siècle.
Notes
1 Ch. Moeller, Littérature du
XXe siècle et christianisme, II, La foi en Jésus-Christ, Tournai-Paris
1957, chapitre “Jean-Paul Sartre ou la méconnaissance du surnaturel”, p.
52.
2 Op. cit., p. 52.
3 J.-P. Sartre, Les mots, Paris
1964, p. 189.
4 C. Moeller, “Jean-Paul Sartre
ou la méconnaissance du surnaturel”, cit., p. 53.
5 Op. cit., p. 53-54.
6Op. cit., p. 54.
7 Op. cit., p. 107.
8 Op. cit., p. 103.
9 Op. cit., p. 54.
10 J.-P. Sartre, Le s Mots, cit.,
p. 80.
11 Op.cit., p. 81-82 .
12 Op.cit., p. 83.
13 Op.cit., p. 147-149.
14 Op.cit., p. 209.
15 Op.cit., p. 210.
16 Op.cit., p. 211.
17 Ibidem.
18 Op.cit., p. 211-212.
19 Op. cit., p. 212 .
20 J.-P. Sartre, Bariona, ou le
Fils du tonnerre, in M. Contant - M. Rybalka, Les Écrits de Sartre –
Chronologie, Bibliographie commentée, Gallimard 1970,p. 565.
21 Ch. Moeller, “Jean- Paul
Sartre ou la méconnaissance du surnaturel”, cit., p. 51-52.
22 J.-P. Sartre, Oeuvres
romanesques, Paris 1981, p. LXI.
23 A. Cohen-Solal,Sartre,
Paris, Gallimard, p. 216 .
24 M. Merleau-Ponty, Sens et
non sens, Paris 1948.
25 J.-P. Sartre, Lettres au
Castor et à quelques autres, Paris 1983.
26 Cit. in: S. De Beauvoir, La
Cérémonie des adieux, Paris 1981, p. 338.
27 M. Contant - M. Rybalka, Les
Écrits de Sartre, cit., p. 564.
28 A. Cohen-Solal, Sartre, cit.,
p. 219.
29 Entretien de Sartre avec
Claire Vervin pour l’article Lectures de prisonniers, in Les lettres
françaises, 2 décembre 1944, p. 3.
30 A. Delogu, “Un mistero di
Natale molto commovente”, Introduction à: J.-P. Sartre, Bariona o il
figlio del tuono, cit., p.VII.
31 J.-P. Sartre, Bariona ou le
Fils du tonnerre, cit., p. 584.
32 Op.cit., p. 585.
33 Op.cit., p. 599.
34 Op.cit., p. 601.
35 Op.cit., p. 603.
36 Op.cit., p. 605.
37 Op.cit., p. 606.
38 Op.cit., p. 615.
39 Op.cit., p. 620.
40 Op.cit., p. 622.
41 Op.cit., p. 623.
42 M. Perrin, Avec Sartre au
Stalag XII D, Paris 1980, p. 93 et sqq.
43J.-P. Sartre, Bariona ou le
Fils du tonnerre, cit., p.608.
44 Op.cit., p. 616.
..en
proche relation ...
Coqs ET
Coqs ....ENtre
coque(s) ENtre...
haut de page
nombre de
consultation de cette page depuis sa création :
 |
|